25 avril 2015

Voici l'histoire de M.Yang et de son peuple, exilés de leurs terres ancestrales, et survivant au pluis profond de la jungle au Nord du Laos.





Avant ma naissance

Les Hmong ont été chassés de Chine longtemps avant ma naissance. Nous sommes un peuple fier et avons vécu pendant des générations et des générations dans les montagnes au centre de ce pays que vous appelez la chine. Nous étions heureux et vivions selon les traditions de nos ancêtres, jusqu’à l’arrivée des Han, le peuple qui domine la chine aujourd’hui. Ils ont apporté la guerre dans leurs pas, l’instabilité pour les Hmong et leurs voisins, et accaparé les terres arables. Ils voulaient nous transformer en Hans, que nous abandonnions nos traditions pour les leurs. De quel droit ?

Nos ancêtres se sont vaillamment battus. Ils ont perdu et gagné des batailles. Ils ont fait souffrir nos ennemis. En fin de compte, et aussi malheureux que cela puisse être, les Hans étaient plus nombreux et plus forts. Fuir était la seule option laissée à mes ancêtres.

Petits à petits, nous sommes descendus vers le sud. Tels les ruisseaux qui deviennent fleuves comme le Mékong ou la Nam Ou, cela a commencé par quelques hommes, puis des familles et enfin des tribus entières. Ils sont partis de leurs terres ancestrales vers des territoires inconnus. Vous les appelez le nord du Laos et du Vietnam. Ce n’étaient que des forêts vierges riches en animaux et sans aucune route, avec cependant quelques rares tribus éparpillées dans la jungle. Idéal pour rester loin des Han et de leur maudite armée.

Je suis né bien plus tard, presque deux-cents ans après le départ des miens de nos terres ancestrales. Je ne me souviens pas de la date exacte, personne n’a pensé à le noter ; ce n’était pas important à l’époque. À ma naissance, cette partie du Laos était dirigée par les Français. Le Commissaire était un homme juste et bon qui maintenait la paix et rendait la justice.

Par exemple, mon père me racontait qu’un jour, une dispute a éclaté entre les Hmong et les Khamo, les habitants originels de cette région. Ils n’étaient pas contents de voir notre village s’installer à proximité du leur. Cela surprenait grandement mon père. Il ne comprenait pas leur agressivité quand les terres pouvaient abriter et nourrir dix fois, cent fois notre nombre. Nous n’accaparons pas les terres comme les Hans. Nous ne faisons que cultiver ce dont nous avons besoin pour l’année, avant de rendre la terre à la jungle. Pourquoi tant de haine ?

Les Khamo s’en prenaient à nos hommes, attaquaient nos femmes et faisaient peur à nos enfants. Des combats eurent lieu à l’époque. Violents et sans pitié. Les Khamo nous rendaient la vie dure.
Mon père et quelques-uns du village décidèrent alors de partir voir les Français à Muang Sing. Ils ont été accueillis par les femmes françaises. Elles étaient tellement belles et bien habillées, et surtout, comprenaient nos malheurs. Elles sont allées voir le Commissaire pour lui demander d’intervenir.

 — Amenez-moi trois chevaux, ordonna le commissaire.
Ensemble, ils prirent la direction du village Khamo à travers la jungle épaisse et sans route. Mon Père et les autres accompagnaient ce grand homme. Arrivé sur place, le Commissaire a demandé aux chefs Khamo et aux hommes de se réunir sur la place du village. La poussière recouvrait tout sous les pas d’autant de personnes. La chaleur était suffocante, mais le Commissaire restait haut et fort.
— Qui ? Tonna-t-il de sa voix forte et puissante. Qui n’autorise pas les Hmong à s’installer ici ? Qui?
Plusieurs doigts pointent vers un homme, M. Nyé, le chef du village et celui qui a lancé les expéditions contre les Hmong. Il s’est avancé pour se tenir devant le Commissaire.
Le Commissaire, sans un mot, le gifle. Le bruit fait taire toutes les conversations. Une seconde gifle encore plus puissante résonne dans le silence. M. Nyé flanche. Une troisième gifle vient atterrir sur sa joue déjà meurtrie.
— Cette terre n’est pas à vous, dit le Commissaire à voix haute pour que tout le monde l’entende. Cette terre n’est pas à vous, elle à nous ! Je décide de qui peut s’installer ici. Je décide de qui doit partir. Vous n’avez pas le droit de le faire !

Depuis ce jour, nous vivons en paix avec les Khamo. Le Commissaire a tracé une ligne au-delà de laquelle les Khamo ne peuvent cultiver. Il en va de même pour le Hmong ; nous ne pouvons cultiver de l’autre côté de la ligne.

C’était le génie du Commissaire d’inventer un tel concept. Il était juste et bon.

Ma jeune vie

Plus tard, alors que j’avais huit ans, mon père m’envoya à l’école de Luang Prabang pour apprendre à devenir un catholique. Le prêtre qui était passé dans notre village lui avait dit que c’était une très bonne chose ; mon père acquiesça d’autant plus facilement que le Commissaire était également catholique.

J’ai appris plusieurs chansons à l’époque: "Frère Jacques", "Il est né le divin enfant". Attendez, je vous les chante.
Frère Jacques, frère Jacques,
Dormez-vous ? Dormez-vous ?
Sonnez les matines ! Sonnez les matines !
Ding, dang, dong. Ding, dang, dong.
Je ne chante pas très bien, je sais. Mais à mon âge, je ne me souviens plus très bien de la prononciation. Le professeur nous a renvoyés chez nous au bout d'une année, dans les villages, à cause des combats.

Quels combats ? Oh pardon. Mais les Japonais bien sûr. Ils étaient partout à l’époque, combattaient tout le monde et faisaient la guerre aux Français autour de Luang Prabang. Mon Père y est allé avec d’autres du village pour aider le Commissaire à les renvoyer d’où ils venaient. Cela a dû mal se passer, car plus tard, mon père et les autres sont revenus, blessés et morts pour certains.
Le Commissaire est passé peu après dans le village. Il a tout pris sur son passage sans demander, bétail, poules, nourriture, ustensiles ! Vous vous en rendez compte ? Cet homme si gentil et si bon. Les gens du village ne comprenaient pas. Il suffisait qu’il demande. Il paraissait tellement pressé d’atteindre la Chine et prenait ce dont il avait besoin.

Plus tard, quand les Japonais furent partis, le Commissaire revint au village. Il a commencé par repayer chaque personne à qui il avait pris de la nourriture ou des ustensiles. Dans sa grande sagesse, le Commissaire avait tout noté en prévision de ce jour. On lui fit grande fête.

La guerre

Quand les Viet Minh ont attaqué les Français, les Hmong ont suivi le Commissaire. Il était bon et juste, sa cause ne pouvait être que bonne. Ils le suivirent au centre et à l’ouest, ils lui prêtèrent main forte contre ces fous furieux du Vietnam qui n’avaient que destruction dans leur cœur et que rage dans leur tête. Ils nous rappelaient les Han.

Le Commissaire aimait nous avoir avec lui. Nous lui étions fidèles et nous étions aguerris à la survie dans la jungle et dans les montagnes. Nous pouvions les aider. À l’époque, c’est cet homme qui allait devenir le général Vang Pao qui nous commandait. C’était le meilleur des hommes, et il s’était entraîné aux armes aux côtés des Français. Il était le meilleur d’entre nous.
Malheureusement, tout cela n’a pas suffi. Ces diables de Viet Minh étaient partout, et sortaient de leurs termitières pour attaquer sur nos arrières. Les Français et le Commissaire ont perdu, surtout après la bataille de Diên Biên Phu.

Grand départ

Suite à cela, le Commissaire est parti, avec tous les Français au Laos. Beaucoup de Hmong sont partis avec lui. Dix villages entiers ont quitté nos contrées pour suivre cet homme si bon et si juste. Ils avaient peur aussi des Viet Minh, ils les savaient capables de toutes les atrocités contre ceux qui s’étaient opposés à eux.

Sur les dix villages, quelques familles seulement sont restées. Ce sont eux qui ont donné naissance au village que vous voyez aujourd’hui, là, dehors.

— Où sont-ils allés, me demandez-vous ?

Eh bien partout mon ami, partout. Le Commissaire en a envoyé beaucoup en Guyane française. Il parait que c’est un territoire par-delà les mers, qui ressemble beaucoup au Laos. Le Commissaire avait besoin de gens capables de domestiquer cet endroit pour les Français. Nous sommes les meilleurs dans la jungle et la montagne.
D’autres encore sont en France. 
J’ai des cousins en France, à Orléans, Lyon et Montpellier. Ils viennent nous voir de temps en temps avec les mains remplies de cadeaux magiques comme cet ordinateur que mes petits-enfants utilisent sans cesse. J’aimerai aller les voir un jour ; ils me le proposent sans arrêt d’ailleurs, et même de payer tous mes frais. Mais je suis trop vieux à présent. Qui plus est, ma femme est morte, qui s’occuperait de la maison ?

Ohh, je saute un peu les étapes. Il faut que je vous raconte la guerre, les suites de la guerre

Nouvelle guerre

Après le départ du Commissaire, des Français et des dix villages, nous n’étions plus que très peu à rester. Heureusement, d’autres villages Hmong étaient restés aussi. Nous avions tous peur des Viet Minh, ils étaient impitoyables. Alors quand les Américains nous ont proposé de les aider à combattre les Viet Minh, nous avons sauté sur l’occasion.

Pendant de longues années, nous avons soutenu les Américains dans leur guerre. Ils étaient les successeurs du Commissaire, et nous leur avons donné notre loyauté. Nous avons combattu et perdu les nôtres pendant de longues années.
Ces diables de Viet Minh étaient trop forts. Les Américains ont fini par plier bagage et repartir chez eux, avec quelques Hmong parmi eux. Ceux-là sont installés aux États-Unis maintenant.

La Paix fut signée entre le Laos et le Vietnam, et tout le monde était censé être heureux. Malheureusement pour nous, nos anciens ennemis avaient la rancune tenace. Ils se sont mis à nous pourchasser. Nous étions du gibier pour eux, des traîtres. Nous avons essayé de nous défendre mais c’était cause perdue sans l’aide du Commissaire ou des Américains.
Nous avons alors emmené nos villages au plus profond de la jungle, pour fuir les persécutions de nos ennemis. Nous les avons fuis au seul endroit sûr que nous connaissions.

Cela a duré des années. Des décennies. Jusqu’à très récemment, la traque de nos ennemis a été remplacée par une arme plus insidieuse, plus dangereuse aussi, l’exclusion.

Le pays s’est développé en nous laissant en arrière. 
Aucune route ne menait jusqu’à nos villages. L’électricité était réservée aux Laotiens, pas aux Hmong. L’eau courante n’était pas pour nous. L’enseignement ne nous était pas utile selon eux. Nous étions des bêtes sauvages, et ils attendaient qu’on périsse. 
Heureusement, des pays étrangers et lointains nous sont venus en aide. L’électricité avec laquelle on s’éclaire est un de leurs dons. La diaspora Hmong est aussi venue à notre aide. Que ferions-nous sans la famille.

Les choses changent à une grande vitesse maintenant, surtout depuis l’ouverture du Laos au monde. Nous recevons des voyageurs, comme vous, qui veulent découvrir notre culture et nos traditions. Je dois vous montrer un livre avec des dessins qui explique ces traditions. Regardez.







Et demain ?

Demain ? Demain me fait peur. Regardez mes petits-enfants avec leurs habits venus d’ailleurs, avec leurs téléphones et leurs ordinateurs. Ils sont physiquement ici mais leur tête est ailleurs, là-bas.

Avec l’avènement de la télé, l’électricité et la route, ils commencent à se rendre compte de ce qui existe ailleurs, et de rêver. Regardez les photos de la famille sur le mur. Ils ont tous demandé au photographe de rajouter leur photo dans des paysages et des villes d’ailleurs, qu’ils n’ont jamais visité. C’est de la magie.

J’ai peur qu’ils ne gardent pas nos traditions et qu’ils ne sauvegardent pas notre culture. Nous nous sommes tellement battus, depuis des millénaires, pour garder notre peuple tel qu’il est. J’ai peur de voir tout cela se perdre en une génération, avec ces enfants attirés par ce monde moderne qui leur fait plus perdre la tête que l’opium de mon père.

Seul l’avenir le dira.

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